Arthur Rimbaud a été celui qui, sans cesse, s'est trouvé en instance de partir. On a dit aussi de Rimbaud qu'il était l'homme aux semelles de vent, le voyageur qui, de Charleville à Paris puis d'Aden au Harrar, a toujours voulu aller plus loin. Mais il a aussi rêvé, comme il l'a écrit dans son Alchimie du verbe, à des révolutions de murs, à des déplacements de races et de continents, autrement dit à de vastes mouvements moraux et historiques qui pourraient mener les peuples ailleurs: il fallait creuser les secrets qui permettraient de changer la vie. Rarement, d'ailleurs, n'a-t-on vu d'artiste se révoltant avec autant de violence contre l'éternel ordre des choses, contre l'éternel règne des assis.
En poésie, on le sait d'après sa Lettre du Voyant, Rimbaud détestait tous ces amuseurs publics qui n'ont jamais fait que jongler avec les rimes et les hémistiches. Plus ambitieux qu'eux, le poète du Bateau ivre a voulu se faire voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens: c'était là l'expression d'une volonté toujours renouvelée de donner des coups de sonde là où cela ne serait pas familier, là où il pourrait perdre pied pour glisser dans l'inconnu. Il fallait, si on peut dire, ériger le changement en système; et le vertige émanant de poèmes tels Après le déluge ou Vies en fait foi.
Mais si le poète s'est révolté contre le monde tel qu'il est, si ses uvres ont constamment évoqué l'aube, l'adieu, le départ, le mouvement, toutes choses impliquant une métamorphose (pensons là-dessus à Bottom) ou un déplacement (relisons des poèmes tels Bohème ou Sensation), c'était pour en arriver à quoi? Peut-être, et cela de manière apparemment paradoxale, s'est-il agi de toujours aller ailleurs pour, enfin, aboutir à l'état le plus statique qui soit: la contemplation. En ce sens, ces fusions où le poète se noie dans les paysages qu'il décrit (là-dessus, L'Éternité et Bruxelles sont remarquables) expriment sans doute le plus haut degré de bonheur que Rimbaud ait jamais atteint.
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