Away ! - Away ! BYRON.
Mazeppa. En avant ! en avant !I
Ainsi,
quand Mazeppa, qui rugit et qui pleure,
A vu ses bras, ses pieds, ses flancs qu'un sabre effleure, Tous ses
membres liés Sur un fougueux cheval, nourri d'herbes marines, Qui
fume, et fait jaillir le feu de ses narines Et le feu de ses pieds; Quand
il s'est dans ses nuds roulé comme un reptile, Qu'il a bien réjoui
de sa rage inutile Ses bourreaux tout joyeux, Et qu'il retombe enfin sur
la croupe farouche, La sueur sur le front, l'écume dans la bouche, Et
du sang dans les yeux, Un cri part; et soudain voilà
que par la plaine Et l'homme et le cheval, emportés, hors d'haleine,
Sur les sables mouvants, Seuls, emplissant de bruit un tourbillon de poudre
Pareil au noir nuage où serpente la foudre, Volent avec les vents
! Ils vont. Dans les vallons comme un orage ils passent,
Comme ces ouragans qui dans les monts s'entassent, Comme un globe de feu;
Puis déjà ne sont plus qu'un point noir dans la brume, Puis
s'effacent dans l'air comme un flocon d'écume Au vaste océan
bleu. Ils vont. L'espace est grand. Dans le désert
immense, Dans l'horizon sans fin qui toujours recommence, Ils se plongent
tous deux. Leur course comme un vol les emporte, et grands chênes, Villes
et tours, monts noirs liés en longues chaînes, Tout chancelle
autour d'eux. Et si l'infortuné, dont la tête
se brise, Se débat, le cheval, qui devance la brise, D'un bond
plus effrayé S'enfonce au désert vaste, aride, infranchissable,
Qui devant eux s'étend, avec ses plis de sable, Comme un manteau
rayé. Tout vacille et se peint de couleurs inconnues
Il voit courir les bois, courir les larges nues, Le vieux donjon détruit,
Les monts dont un rayon baigne les intervalles; Il voit; et des troupeaux
de fumantes cavales Le suivent à grand bruit. Et
le ciel, où déjà les pas du soir s'allongent, Avec ses
océans de nuages où plongent Des nuages encor, Et son soleil
qui fend leurs vagues de sa proue, Sur son front ébloui tourne comme
une roue De marbre aux veines d'or. Son il s'égare
et luit, sa chevelure traîne, Sa tête pend; son sang rougit la
jaune arène, Les buissons épineux; Sur ses membres gonflés
la corde se replie, Et comme un long serpent resserre et multiplie Sa
morsure et ses nuds. Le cheval, qui ne sent ni le
mors ni la selle, Toujours fuit, et toujours son sang coule et ruisselle,
Sa chair tombe en lambeaux; Hélas ! voici déjà qu'aux
cavales ardentes Qui le suivaient, dressant leurs crinières pendantes,
Succèdent les corbeaux ! Les corbeaux, le grand-duc
à l'il rond, qui s'effraie, L'aigle effaré des champs
de bataille, et l'orfraie, Monstre au jour inconnu, Les obliques hiboux,
et le grand vautour fauve Qui fouille au flanc des morts, où son col
rouge et chauve Plonge comme un bras nu ! Tous viennent
élargir la funèbre volée; Tous quittent pour le suivre
et l'yeuse isolée Et les nids du manoir. Lui, sanglant, éperdu,
sourd à leurs cris de joie, Demande en les voyant : Qui donc là-haut
déploie Ce grand éventail noir ? La
nuit descend lugubre, et sans robe étoilée. L'essaim s'acharne,
et suit, tel qu'une meute ailée, Le voyageur fumant. Entre le ciel
et lui, comme un tourbillon sombre, Il les voit, puis les perd, et les entend
dans l'ombre Voler confusément. Enfin, après
trois jours d'une course insensée, Après avoir franchi fleuves
à l'eau glacée, Steppes, forêts, déserts, Le
cheval tombe aux cris des mille oiseaux de proie, Et son ongle de fer sur
la pierre qu'il broie Éteint ses quatre éclairs. Voilà
l'infortuné gisant, nu, misérable, Tout tacheté de sang,
plus rouge que l'érable Dans la saison des fleurs. Le nuage d'oiseaux
sur lui tourne et s'arrête; Maint bec ardent aspire à ronger
dans sa tête Ses yeux brûlés de pleurs. Eh
bien ! ce condamné qui hurle et qui se traîne, Ce cadavre vivant,
les tribus de l'Ukraine Le feront prince un jour. Un jour, semant les
champs de morts sans sépultures, Il dédommagera par de larges
pâtures L'orfraie et le vautour. Sa sauvage
grandeur naîtra de son supplice. Un jour, des vieux hetmans il ceindra
la pelisse, Grand à il ébloui; Et quand il passera,
ces peuples de la tente, Prosternés, enverront la fanfare éclatante
Bondir autour de lui ! II
Ainsi, lorsqu'un mortel, sur qui son dieu s'étale, S'est vu lier vivant
sur ta croupe fatale, Génie, ardent coursier, En vain il lutte,
hélas ! tu bondis, tu l'emportes Hors du monde réel, dont tu
brises les portes Avec tes pieds d'acier ! Tu franchis
avec lui déserts, cimes chenues Des vieux monts, et les mers, et, par
delà les nues, De sombres régions; Et mille impurs esprits
que ta course réveille Autour du voyageur, insolente merveille, Pressent
leurs légions. Il traverse d'un vol, sur tes ailes
de flamme, Tous les champs du possible, et les mondes de l'âme; Boit
au fleuve éternel; Dans la nuit orageuse ou la nuit étoilée,
Sa chevelure, aux crins des comètes mêlée, Flamboie
au front du ciel. Les six lunes d'Herschel, l'anneau du
vieux Saturne, Le pôle, arrondissant une aurore nocturne Sur son
front boréal, Il voit tout; et pour lui ton vol, que rien ne lasse,
De ce monde sans borne à chaque instant déplace L'horizon
idéal. Qui peut savoir, hormis les démons
et les anges, Ce qu'il souffre à te suivre, et quels éclairs
étranges A ses yeux reluiront, Comme il sera brûlé
d'ardentes étincelles, Hélas ! et dans la nuit combien de froides
ailes Viendront battre son front ? Il crie épouvanté,
tu poursuis implacable. Pâle, épuisé, béant, sous
ton vol qui l'accable Il ploie avec effroi; Chaque pas que tu fais semble
creuser sa tombe. Enfin le terme arrive... il court, il vole, il tombe, Et
se relève roi ! Mai 1828.
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